Réunis à l’Assemblée nationale, le lundi 16 avril dernier, les fédérations nationales et réseaux régionaux de la musique ont appelé de leurs vœux une concertation large sur les politiques publiques en faveur de la musique. Les 120 participants, représentant la pluralité des musiques d’aujourd’hui, ont partagé leurs analyses respectives des enjeux auxquels sont confrontés les différents maillons de la filière musicale, convergeant en premier lieu sur la nécessaire défense de la diversité des initiatives.
Lors de ce temps, Jocelyn Borde, président de la Fraca-MA, a pris la parole au nom de la Coopération des Pôles et Réseaux régionaux de musiques actuelles. Vous trouverez ici le texte son intervention.
« Les Pôles et Réseaux pour lesquels je m’exprime aujourd’hui fédèrent les acteurs des musiques actuelles au niveau régional.
Ils créent des espaces pérennes de dialogue et favorisent ainsi la prise en compte de l’ensemble de l’écosystème musical et rendent possibles des coopérations sur de nombreux enjeux artistiques, culturels, économiques et sociétaux.
C’est forts de la diversité qu’ils représentent que ces organisations souhaitent mettre en partage leurs diagnostics et préconisations en matière de politiques publiques liées au domaine musical.
Depuis le rôle essentiel joué par la France dans l’adoption de la déclaration universelle sur la diversité culturelle, l’objectif des Droits culturels des personnes s’impose peu à peu dans la politique culturelle française.
La loi NOTRe en a défini les contours et l’éthique et la loi LCAP, insistant sur la nécessaire articulation entre l’État, les collectivités et les acteurs pour la mise en œuvre d’une politique « construite en concertation avec les acteurs de la création artistique« .
Il convient ainsi de rappeler avec force les recommandations de l’ONU qui énonce clairement que le respect des Droits culturels est indissociable du « droit de prendre part au développement de la communauté à laquelle une personne appartient, ainsi qu’à la définition, à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et de décisions qui influent sur l’exercice des droits culturels […] ».
Ce document impose par ailleurs aux États « l’adoption d’une législation appropriée et la création de mécanismes efficaces qui permettent aux personnes, individuellement, en association avec d’autres […] de prendre part effectivement à la prise de décisions […] »
Les pôles et réseaux régionaux souhaitent ainsi affirmer, au regard de la loi et de l’enjeu universel des Droits culturels, leur volonté d’assumer une responsabilité partagée avec les partenaires publics et les acteurs culturels, tel que cela est défini par l’ONU : « Les communautés et les associations culturelles jouent un rôle fondamental dans la promotion du droit de chacun de participer à la vie culturelle aux niveaux local et national, en coopérant notamment avec les États parties à l’exécution des obligations qui leur incombent […] »
Le respect des droits culturels et de la diversité artistique et culturelle est une question fondamentale pour les politiques culturelles.
Les structures que nous représentons contribuent à la diversité culturelle par la multiplicité de leurs identités, formes, publics, créations, activités et disciplines artistiques. Différentes et complémentaires, elles participent à l’évolution de la société et à l’enrichissement sensible et intellectuel des individus qui la composent.
La prise en compte de cette diversité des initiatives est indispensable pour permettre la diversité culturelle et artistique. C’est particulièrement vrai pour le secteur musical, composé aujourd’hui d’une myriade de petites et très petites entreprises (majoritairement associatives), mais également par des entreprises d’envergure nationale, voire internationale, ainsi que par des structures publiques. Les musiques actuelles ne peuvent véritablement se développer sans un maintien, et même un renforcement, de cette diversité et la recherche d’un meilleur équilibre au sein de cet écosystème.
Or, force est de constater que la concentration économique à l’œuvre aujourd’hui est une véritable menace pour la diversité des structures que nous représentons. Dans ce cadre, les politiques publiques, à travers leurs cadres d’intervention au niveau national et territorial, doivent contribuer à garantir le développement équilibré de la filière.
Les musiques actuelles sont bien plus qu’un mouvement artistique. Elles portent en elles une dimension culturelle et sociétale qui ne doit plus leur être nié.
Les réseaux territoriaux défendent et mettent en œuvre le dépassement des segmentations historiques du secteur musiques actuelles, mais aussi celles des politiques publiques. En assumant de prendre en considération un écosystème de plus en plus complexe, bien au-delà des seuls acteurs culturels, les réseaux permettent d’agir, au plus près des acteurs concernés, sur les principales politiques transversales au cœur des enjeux de société :
- créativité, citoyenneté, liberté, responsabilité et participation,
- production, diffusion et internationalisation,
- développement des territoires, proximité et mobilité
- développement de l’emploi et des compétences, formation et insertion
- développement économique et numérique
- transition énergétique, développement durable et responsabilité sociétale
- recherche et innovation
- gouvernance
Cette approche systémique des musiques actuelles doit trouver une traduction dans le projet de Centre National de la Musique, tant dans ses missions (concerter, construire, innover, redistribuer, réguler) que dans son processus de création.
C’est pour répondre à cet enjeu que les Pôles et Réseaux territoriaux demandent, aux côtés et en complémentarité des fédérations nationales de notre secteur, une participation pleine et entière à la mise en œuvre d’une co-construction de ces nouveaux modèles de politiques en faveur des musiques actuelles.
A l’heure des lois NOTRe et LCAP, à l’heure également de la gestion par les Régions des programmes opérationnels européens ou des Schémas Régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, la réflexion et la mise en œuvre des politiques publiques de la culture ne peut se faire sans un dialogue étroit et permanent avec les territoires.
C’est un des objectifs de l’interpellation de organisations à l’initiative de cette journée de Concertation. L’État doit être garant, directement ou par le biais de son établissement national, d’une conception et d’un déploiement équitable et concerté de la politique culturelle sur les territoires.
Dans ce cadre, il apparaît nécessaire de renforcer les dynamiques de co-construction engagées localement.
Et ce, afin de favoriser un développement culturel en répondant aux enjeux de tous les territoires, dans leur articulation avec une vision nationale renouvelée.
À ce titre, la mise en œuvre de Contrats de filière « musiques actuelles et variétés » ambitieux, surtout s’ils sont signés aux cotés des Régions, de l’État et du CNV, est perçue par les acteurs comme une opportunité de repenser les politiques publiques en faveur des musiques actuelles.
Les enjeux sont majeurs :
- accompagner les acteurs de la filière dans les mutations qu’ils rencontrent afin de sécuriser leur développement et d’encourager l’innovation,
- adapter les acteurs aux enjeux numériques, environnementaux, sociaux, sociétaux et économiques,
- expérimenter une politique publique conjointe en faveur des musiques actuelles, impulsant ainsi une articulation progressive des politiques publiques de droit commun,
- élaborer, et c’est bien la question que nous abordons aujourd’hui, une mécanique de concertation pérenne avec la filière et la diversité de ses partenaires publics et privés.
Si les pôles et réseaux se sont constitués progressivement dans des contextes différents, leurs similitudes sont de plus en plus fortes.
La réorganisation récente des régions a favorisé depuis plus de trois ans des dynamiques de regroupement et une forte ouverture des réseaux à l’ensemble de l’écosystème musical.
Preuve de la volonté des acteurs musicaux de se rassembler dans leur diversité pour travailler ensemble et contribuer collectivement à faire progresser les pratiques, en complémentarité et parfois même à l’initiative de structurations ou d’innovations nationales.
Les 14 Pôles et Réseaux régionaux représentent à ce jour plus de 1200 structures du secteur des musiques actuelles : managers, salles de concerts, tourneurs, structures de formation ou d’accompagnement, festivals, labels indépendants, cafés-culture, studios d’enregistrement et de répétition, collectifs d’artistes, écoles de musique, médias indépendants, etc.
Ceci tout en dépassant, depuis longtemps déjà, les segmentations esthétiques et juridiques des musiques actuelles. Au sein des réseaux se croisent tous les métiers, toutes les musiques, tous les modèles économiques et toutes les dynamiques culturelles.
Ils représentent ainsi plus de 4000 salarié.e.s permanents.
C’est une diversité et une force inédites qui font des Pôles et Réseaux des espaces permanents de concertation pour l’ensemble des parties prenantes des musiques actuelles.
Ils portent des missions d’intérêt général qui, en complémentarité du processus de concertation, permettent d’accompagner durablement le développement et la structuration de l’écosystème musical.
Ils rappellent l’importance d’agir en proximité. Une proximité loin de tout repli sur soi, tournée vers les grand enjeux et interlocuteurs nationaux et européens.
Un grand nombre d’innovations du secteur sont d’ailleurs directement issues des territoires. Pour ne citer que quelques exemples :
- l’expérimentation du dispositif d’aide à l’emploi artistique dans les Cafés-Cultures en Pays-de-la-Loire avant son déploiement national
- la création d’un Contrat de Filière régional musiques actuelles et variétés en Nouvelle Aquitaine
- la création d’un fonds de trésorerie mutualisée dans le Grand-Est
- le déploiement de Métiers Culture, plateforme emploi-formation-compétences en région Centre-Val de Loire
- la co-fondation en Ile de France, avec la Fedelima et le SMA, d’une solution nationale de billetterie solidaire portée par la Coopérative Socoop
Plus globalement, l’émergence artistique, les droits culturels, le développement territorial, l’emploi, la formation et l’insertion, l’accompagnement de l’entrepreneuriat, le développement économique, la prise en compte des structures de production et de développement artistique, les méthodes d’observation et les démarches responsables sont autant de thèmes sur lesquels les pôles et réseaux régionaux ont su faire la démonstration de la maturité collective des acteurs de musiques actuelles.
Les acteurs de musiques actuelles, inscrits dans une démarche éthique liée à la diversité artistique et culturelle, sont un atout pour l’ensemble des échelons territoriaux.
Leurs mises en réseaux multiples témoignent d’un engagement responsable exemplaire en faveur d’un développement concerté, solidaire et coopératif de leur secteur.
Aux côtés des organisations fédératives ou syndicales nationales, les réseaux régionaux disposent d’une vraie légitimité et apparaissent comme des interlocuteurs pertinents et précieux dans la dynamique de co-construction des politiques publiques :
- diversité professionnelle de leurs adhérents et partenaires,
- diversité des territoires et respect de la complexité en leur sein même,
- capacité à agir sur le fonctionnement même de l’écosystème (coopérations, accompagnements, etc.),
- porosité de leurs actions vers d’autres formes culturelles, sociales et économiques,
- mise en place d’actions et de dynamiques privilégiant les circuits courts,
- capacité de pondération des phénomènes de concentrations (industrielles et territoriales) en cours au sein de la filière
Œuvrant pour l’intérêt général, disposant d’une expertise sur les spécificités et enjeux territoriaux, les réseaux ont atteint un niveau de maturité tel qu’ils sont une partie prenante légitime et un interlocuteur incontournable de la co-construction de politiques publiques ambitieuses et renouvelées en faveur des musiques actuelles.
Aussi, aujourd’hui, ils souhaitent :
- réaffirmer leur complémentarité, leur articulation et leur coopération avec les organisations nationales présentes ici
- être reconnus pour leurs missions d’intérêt général, encore ignorées par de trop nombreux partenaires publics et par les réflexions sur le futur établissement national de la musique,
- être reconnus et soutenus comme des interlocuteurs majeurs et centraux, tant pour la structuration et le développement des musiques actuelles que pour l’élaboration des politiques publiques nationales et territoriales,
- défendre la nécessité d’un nouveau modèle de développement global capable de dépasser la segmentation de la filière pour s’emparer autant des enjeux transversaux de l’écosystème (numérique, emploi, économie, développement durable…) que de la notion de développement territorial.
Ce dernier point est tout sauf anodin. Il sous-tend un effort partagé de réalignement, depuis les territoires jusqu’à l’organisation du Ministère de la Culture, en passant par les Contrats de Filière, l’évolution de l’organisation interne du secteur et de son futur établissement national. Il ne peut plus être question uniquement de métiers ou d’esthétiques. Il doit être maintenant question des enjeux transversaux, fondamentaux, que nous partageons tous.
Au final, il s’agit bien de coopération. Il s’agit bien, pour nous tous ici – citoyens, acteurs musicaux, réseaux territoriaux, fédérations nationales, syndicats, collectivités, établissement public national, État – de dépasser les contradictions afin d’assumer collectivement ce que préconisent les principales normes internationales de développement durable, ce que portent les grands textes internationaux et ce que nous dit l’état de droit : nous sommes les parties prenantes d’un fait de société. Nous devons en assumer collectivement la responsabilité. »